Il était une fois une fille à qui on offrit une machine à badges. Joyeuse, elle s’amusa beaucoup à créer des modèles pour elle et ses ami(e)s. Puis elle « inventa » la « cocarde ». SA cocarde, badge entourée de tissu enrubanné. Elle en décerna quelques-unes. Devant leur succès, elle ouvrit une boutique en ligne et commença à les vendre. On lui en acheta une, deux, cinquante. De plus en plus. De plus en plus vite. La cocarde devint son produit phare.
Cette fille, c’était moi évidemment. Au bout de deux ans et alors que la moitié de mes commandes concernait les cocardes, j’augmentai le prix de vente, les passant de 7 à 10 euros. Cela ne changea pas grand chose. En « pleine saison », mon stock descendait plus vite que ma production. Je « cocardais » tout le temps. Partout. Le week-end. Dans les bars. Devant la télé. Dans les assemblées générales. Une production à flux trèèès tendu. Un break s’imposa. Je retirai les cocardes de la vente.
Au départ, je pensais la pause momentanée mais je ne repris jamais la production. J’allai devenir folle si je reprenais. Je fis un rapide bilan qui m’ouvrit grand les yeux. Pour faire une cocarde, un grand nombre d’étapes était nécessaire. Il fallait :
- Acheter du tissu
- Le repasser
- Le découper en bandes de 12 cm
- Tracer des cercles de 12 cm de diamètre
- Découper les cercles
- Faire des points sur le tour de chaque cercle pour le froncer
- Rendre le cercle bien rond
- Le repasser
- Réaliser le visuel central
- L’imprimer
- Le découper
- Le pincer sur la cocarde
- Rectifier le centrage en faisant des points sur le dos de la cocarde
- Découper des rubans de 15 cm
- Passer du vernis sur chaque extrémité pour éviter les effilochages
- Coller le ruban sur la cocarde avec le pistolet à colle
En optimisant toutes ces étapes, cela faisait une moyenne de 30 minutes / cocarde. Sans compter la vente, les échanges avec le client, le temps de conditionnement. Ni les frais d’expédition. De livraison. La commission du site de vente. La commission de règlement CB ou Paypal. Cela n’était pas du tout rentable. Il aurait fallu encore augmenter les prix, et quand bien même, j’en vendais tellement que j’aurais dû y passer mes journées, ce qui n’était pas du tout mon envie. Et puis mon activité de créatrice était une activité secondaire, le graphisme étant mon activité principale.
C’était il y a un an, les cocardes sont notées « indisponibles » depuis et néanmoins j’ai régulièrement des demandes car elles plaisent beaucoup. Mes clients trouvent dommage d’avoir arrêté la production. Ils trouvent le produit original et sans équivalent, ce qui est vrai.
Hier, on m’a fait une demande de devis pour 5 000 cocardes. CINQ. MILLE. En les vendant 10 euros pièce, ce qui serait très TRÈS cher et totalement impossible pour une telle quantité, je rédigerais une facture de 50 000 euros. Ça fait rêver. CINQUANTE. MILLE. EUROS. Cela fait une grosse somme et en faisant quelques calculs c’est assez rigolo :
- Pour réaliser une cocarde, il faut 12 cm2 de tissu. Pour en faire 5 000, il en faudrait donc 72 m2. Soit une surface plus grande que celle de mon appartement.
- Il faudrait que j’achète 750 mètres de ruban. Soit à peu près Strasbourg-Saint-Denis -> République.
- A raison de 30 minutes au total par objet, en travaillant 7 heures par jour, il faudrait que je travaille 357 jours.
- En retirant les samedis, les dimanches et les vacances, cela représenterait un an et demi de travail. En ne faisant que ça.
- En fournitures il faudrait compter 2 000 euros de tissu, 1800 euros de badges, 350 euros de ruban, 200 euros d’impression, 250 euros de frais divers. Au total environ 4 500 euros.
- Cela ferait un un salaire de 2 500 euros brut par mois.
- Et et et… je serais en mesure de livrer mon client en… janvier 2018. DEUX MILLE DIX-HUIT.
Je ne crois pas pouvoir annoncer un tel délai de livraison et un tel prix.
Bref, je vais décliner… 😉